En finir avec l’alcoolisme. Et s’il existait un médicament pour guérir de l’alcoolisme ?

Le professeur Olivier Ameisen pense l’avoir trouvé… Il témoigne de son parcours dans son livre « Le dernier verre ». Entretien.
Pr. Olivier Ameisen

Olivier AmeisenPr. Olivier Ameisen – Photo : Franck Ferville

« Si vous ou l’un de vos proches souffrez d’alcoolisme ou de dépendance à une drogue vous devez lire ce livre ». Ces mots prononcés par le Pr. David Servan-Schreiber, témoigne de l’espoir suscité par le parcours et la découverte du Professeur Olivier Ameisen, cardiologue, chercheur, pianiste brillant… et ex-alcoolique. Ex, donc abstinent ? Non, guéri, délivré de l’envie même de boire. Une libération due à un médicament, le « baclofène » communément prescrit depuis quarante ans pour les spasmes musculaires.

Vous dites être devenu complètement indifférent à l’alcool, en seulement quelques semaines, grâce à un médicament, le baclofène…
C’est une première mondiale dans le sens où, ce traitement a complètement supprimé l’alcoolisme. Il ne s’agit pas d’abstinence. L’abstinence est un travail au quotidien, avec 90% de taux de rechute comme l’ont démontré les plus éminents spécialistes mondiaux de l’alcoolisme. Moi, je ne suis plus alcoolique. Je suis guéri depuis près de cinq ans. Je suis libéré du besoin et de cette envie irrépressible de boire que les anglo-saxons nomment le « craving ». Je peux même reboire un verre à l’occasion sans éprouver le moindre besoin de reboire le lendemain, ce qui n’est pas le cas des personnes abstinentes, qui elles travaillent au jour le jour sans filet.

Elève surdoué, pianiste accompli, brillant cardiologue exerçant à New York… Qu’est ce qui vous a fait sombrer ?
J’ai toujours été habité par l’angoisse et par un sentiment d’imposture, d’inadéquation entre ce portrait et l’image que j’avais de moi-même. On dit qu’un alcoolique, c’est un égo démesuré combiné à une piètre estime de soi. J’ai consulté un psychiatre bien avant de sombrer dans l’alcool. J’ai tout essayé. Psychothérapie, psychanalyse, thérapie cognitive et comportementale. Pour masquer l’angoisse, la surmonter en société, je me suis mis à boire alors qu’à l’origine, je détestais le goût de l’alcool. Ensuite pour me libérer de cette dépendance, j’ai scrupuleusement suivi tous les traitements existants. Des alcooliques anonymes – qui m’ont beaucoup soutenu – à l’hypnose en passant par près d’une dizaine de cure de désintoxication dans de nombreux établissements réputés aux Etats-Unis comme en France. Je rechutais généralement le jour même de la sortie en raison de l’anxiété. J’ai toujours su que le problème venait de là. L’angoisse m’a conduit à boire. Les médecins n’arrêtaient pas de me dire qu’il fallait cesser de boire pour que les angoisses disparaissent alors que j’ai toujours pensé le contraire. Il est depuis 2004 établi que c’est en effet dans l’immense majorité des cas l’anxiété ou la dépression qui mènent à la dépendance.

Qu’est ce qui vous a mis sur la voie du baclofène ?
En 2000, en pleine période de « beuverie », une amie m’a montré un article du New York Times qui exposait le cas d’un homme traité par baclofène pour des spasmes musculaires. Cet homme était aussi cocaïnomane. En augmentant la dose de ce médicament, il a constaté que son envie de drogue était apaisée. Un an plus tard, j’ai redemandé l’article à mon amie. Et j’ai rassemblé les pièces du puzzle. J’ai notamment découvert qu’une expérience menée sur des rats en 1997 avec ce médicament, avait donné comme résultat une suppression totale de la motivation à consommer des drogues.

Quel pas, du rat à vous ?
Cette expérience montrait que les rats rendus dépendants à la cocaïne s’arrêtaient complètement d’en consommer… Pris à faible dose, le baclofène réduit l’envie. A haute, il la supprime totalement. Après avoir demandé l’avis de grands neurologues sur son innocuité, j’ai décidé de me traiter seul. J’ai commencé en mars 2002 avec 5 mg trois fois par jour, puis j’ai augmenté progressivement les doses jusqu’à 180mg. Je me sentais apaisé, mais l’anxiété et l’envie de boire étaient toujours là et il m’était impossible de m’arrêter… C’est en relisant les expériences chez l’animal que j’ai finalement compris que l’effet dépendait de la dose. Début 2004, j’ai augmenté la dose et ai obtenu la suppression complète de toute envie de boire, résultat qu’aucun médicament n’avait jamais permis d’atteindre chez l’homme. Et ce en seulement quelques semaines. Le seul effet secondaire n’a été qu’une légère somnolence passagère.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Je suis guéri. Je n’éprouve plus la moindre envie de boire, ce fameux « craving ». Je ne remarque même plus les rayons de spiritueux dans les supermarchés. J’éprouve une indifférence complète à l’égard de ce produit. L’autre propriété du baclofène, c’est qu’en plus de supprimer le besoin et l’envie rapidement, il donne un sentiment de bien être. Il élimine cette tension, l’anxiété, qu’on cherche à évacuer avec l’alcool. J’ai passé les cinq dernières années à travailler à faire connaître ce protocole parce que je suis persuadé que ce traitement peut sauver de nombreuses vies. L’alcool, en France, c’est 120 morts par jour. 45 000 par an. 300 par jour aux Etats-Unis….

Comment une telle découverte peut-elle faire aussi peu de bruit ?
Les addictologues n’ont pas réalisé le potentiel extraordinaire de ce nouveau traitement. Le silence a effectivement été assourdissant en 2004, lorsque j’ai publié pour la première fois, dans la revue « Alcohol and Alcoholism » (une revue médicale de l’Université d’Oxford) l’article qui présente le protocole thérapeutique à base de baclofène, que j’ai expérimenté sur moi-même. Depuis, d’autres cas ont été publiés en 2007. De nombreux spécialistes mondiaux, neurologues, spécialistes de médecine interne et physiologistes ont salué cette découverte. Pourtant, ce traitement reste très peu utilisé. J’ai demandé en 2005, par une publication dans le « Journal of the American Medical Association » (JAMA), la réalisation d’essais cliniques. Mais cela fait déjà 4 ans, et toujours aucun essai !

Qu’est ce qui vous a poussé à vous exposer, à publier votre histoire ?
Je veux alerter par ce livre, donner la clef aux médecins et aux patients. Je trouve scandaleux que les patients ne soient pas informés. Les gens qui meurent d’alcoolisme se fichent bien de savoir si dans dix ans, le baclofène leur donnera des cors au pied comme effet secondaire. Les laboratoires continuent de faire toujours les mêmes études sur les mêmes médicaments avec les résultats médiocres que l’on connait. Ils n’ont aucun intérêt à promouvoir ce médicament génériqué depuis longtemps. Cela étant, ce n’est pas leur rôle principal. Ils ne font pas dans l’humanitaire. Ce rôle revient aux médecins-chercheurs dans le domaine de l’addiction. Puisqu’ils ne le remplissent pas, alors que l’alcoolisme est une maladie mortelle qui touche environ une personne sur dix, j’alerte les pouvoirs publics pour qu’ils interviennent. Il convient d’en finir avec la stigmatisation morale qui accompagne la dépendance, alors que l’alcoolisme et les toxicomanies doivent être considérés comme des maladies chroniques banales.

Peut-on parler d’un traitement miracle ?
Il n’y a pas de miracle en science. Un miracle, c’est quelque chose qu’on ne peut pas expliquer scientifiquement, ce qui n’est pas le cas ici. Je n’utiliserai jamais ce terme. Ce que je propose, c’est une nouvelle approche thérapeutique d’une maladie jusqu’ici incurable. Même si je déplore le fait que les chercheurs n’aient toujours pas réalisé d’essais cliniques, je me félicite de ce que depuis déjà 2 ans, aux Etats-Unis comme en Suisse, des spécialistes traitent déjà des alcooliques avec succès. Et on retrouve la suppression complète, rapide et sans efforts de la maladie. Les seuls patients qui ont été traités, l’ont été grâce aux média. Grâce aux articles que j’ai publiés, qui ont été médiatisés.

Quel écho avez-vous de la publication de votre livre en France ?
Je n’aurais jamais imaginé une telle trainée de poudre depuis deux semaines…
Je suis assailli d’appels au secours déchirants de malades ou de leurs proches.
Mais ce qui est remarquable, c’est que des spécialistes m’ont déjà contacté pour des conseils à la suite desquels ils ont commencé à traiter des patients. Aujourd’hui, mon expérience doit servir à tous ceux qui souffrent, alcooliques comme toxicomanes.

Olivier Ameisen, « Le Dernier verre », préface de David Servan-Scheiber, 300p ; 19€

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