“Le baclofène m'a sortie de l'enfer de la boulimie”

Paris Match – Vanessa Boy-Landry 21 mai 2015

Agnès Renaud, 44 ans, témoigne aujourd’hui de sa guérison dans un livre*. En proie à des crises de boulimie depuis l’adolescence, c’est le baclofène, molécule autorisée depuis 2014** pour traiter les alcooliques, qui l’a complètement délivrée de ses compulsions alimentaires. Interview.

Paris Match. Comment la boulimie  a-t-elle fait irruption dans votre vie ?
Agnès Renaud. J’ai vécu une enfance choyée et heureuse à la campagne, avec des parents très affectueux. Plus tard, j’ai commencé à développer une anxiété importante. J’avais peur de grandir. A l’âge de 16 ans, j’ai demandé à mes parents d’aller en pension. C’est là que les troubles ont commencé. Une hyperphagie s’est déclenchée : j’avais besoin de me remplir en continu de nourriture. J’ai pris 20 kilos en moins d’un an. J’alternais le remplissage avec des diètes restrictives sévères. Puis les vomissements s’en sont mêlés. J’étais devenue une vraie boulimique.

Quelle sensation aviez-vous quand vous répondiez à cette pulsion ?
Ça calmait mes angoisses. C’est un vide que je remplissais à coups de nourriture.

« Je refusais de voir que j’avais un problème réel avec l’alimentation »

Quelle est la différence entre la boulimie et l’hyperphagie ?
Dans le cas de la boulimie, on a recours à des méthodes pour gérer son poids tels que les vomissements, les laxatifs, et le sport à outrance. Dans celui de l’hyperphagie, c’est uniquement du remplissage et on assume après tous les kilos car on n’a aucune alternative pour pallier le poids. Dans les deux cas, il y a une pulsion alimentaire très forte. A partir du moment où je me suis fait vomir, j’ai dû mettre en place une stratégie, une planification car je ne voulais pas que l’on me voie, je ne voulais pas avoir à expliquer. Je refusais de voir que j’avais un problème réel avec l’alimentation. Ce n’est qu’à l’âge de 28 ans, après mon premier accouchement, que j’en ai pris conscience.

Comment vous êtes-vous fait soigner ?
J’en ai parlé à ma généraliste qui m’a dirigée vers un thérapeute spécialisé dans les troubles alimentaires. J’ai suivi pendant six mois une thérapie cognitivo-comportementale basée sur l’abstinence et la notion de volonté. Il fallait que j’utilise des stratégies pour ne pas céder à la pulsion. J’ai compris plein de choses sur mon comportement face à la nourriture, mais c’était une souffrance abominable. Je ressentais un manque terrible ! J’ai arrêté la thérapie et la boulimie est repartie de plus belle. Toujours mêlée de laxatifs, de vomissements, et de sport à outrance, pour garder un poids stable.

« Je mangeais et je me faisais vomir en cachette »

Comment réagissait votre entourage familial ?
Il n’en savait rien. Je n’en parlais pas, je mangeais et je me faisais vomir en cachette. Je cachais les laxatifs. Quand je n’en pouvais plus et que je pleurais, ou quand on me surprenait, j’expliquais que j’avais une gastro ou une indigestion.

En avril 2013, vous découvrez l’existence du baclofène sur Internet…
Un dimanche après-midi, suite à une crise abominable de deux heures où j’engouffrais tout ce qui passait,  j’ai eu un ras-le-bol. J’ai cherché sur Internet ce qui pouvait soigner la boulimie et  j’ai tout de suite trouvé un forum sur le baclofène auquel je me suis inscrite.  C’est là que j’ai compris que j’avais une maladie. Avant, je ne le savais pas. On basait mon trouble sur un manque de volonté de ma part, sur mon problème de  timidité et d’anxiété. On me disait que j’avais sûrement un problème lié à la petite enfance. On ne m’a jamais dit que j’avais un déséquilibre neurobiologique.

C’est donc via le forum de l’association que vous êtes entrée en contact avec des médecins qui prescrivent le baclofène…
Le premier médecin a refusé de me le prescrire avant de faire une thérapie de six mois. Dans mes propos, il n’a pas compris qu’il s’agissait d’une urgence pour moi. J’avais l’impression qu’il fallait qu’on me sauve ! Je ne pouvais plus vivre ces crises.  C’est finalement un psychiatre, habitué à prescrire la molécule à des patients alcooliques, qui a accepté de me suivre dans l’aventure. J’étais  sa première patiente atteinte de troubles alimentaires.  J’ai connu une première guérison trois mois plus tard, en juillet, à une posologie de 90 mg/jour. J’ai rechuté en septembre avec beaucoup d’inquiétude. Après une augmentation du dosage, j’ai atteins le seuil d’indifférence à 120 mg/jour, fin septembre 2013.

« Grâce au baclofène, j’ai repris le contrôle de ma vie »

L’indifférence, c’est une notion que décrivent très bien les patients alcooliques quand ils sont délivrés de leur besoin irrépressible de boire grâce au baclofène. Comment avez-vous su que vous étiez guérie ?
D’abord, les crises ont commencé à s’espacer, puis elles se sont stoppées net. J’ai ressenti un apaisement incroyable, une sérénité en moi que je n’avais pas eue depuis des années. Je sentais que je pouvais décider, que je n’étais plus dans la compulsion. J’étais capable de manger un gâteau sans finir le paquet, par exemple. C’est un sentiment de liberté totale. Je sentais que je reprenais le contrôle de ma vie. Je n’avais plus à me cacher tous les soirs pour manger. Je ne mentais plus à mon mari en lui disant que je rangeais la cuisine alors que je mangeais en cachette. Je ne me couchais plus avec un désarroi total et les larmes qui vont avec… Une libération!

Avez-vous eu des effets secondaires avec le baclofène ?
Oui. Un peu de somnolence et des insomnies. Je les ai vraiment acceptés. Je me disais que par rapport à ma vie de boulimique, c’était rien. Même si je mettais ma vie entre parenthèses pendant la montée de mon dosage, je savais que j’avais ensuite tout à y gagner. J’ai trouvé des alternatives pour pallier les problèmes de sommeil : hypnose, magnétisme, yoga, méditation… En diminuant mon dosage, un an après, j’ai récupéré des nuits plus sereines et la somnolence en journée s’est beaucoup atténuée.

« J’ai repris une vraie vie de couple, sans la boulimie entre mon mari et moi »

Quand votre mari a-t-il compris que vous étiez malade ?
Une fois délivrée, j’ai eu besoin de lui expliquer tout ce que j’avais vécu, tout ce que j’avais caché. Quand j’étais boulimique,  il pensait que je ne m’acceptais pas telle que j’étais, que j’avais un problème d’image. Il a vraiment compris les choses quand nous en avons parlé ensemble et, surtout, quand il m’a vue libérée de mes pulsions alimentaires. Nous avons repris une vraie vie de couple, sans la boulimie entre lui et moi.

A quel dosage êtes-vous aujourd’hui ?
Zéro milligramme depuis fin février 2015 ! J’avais une appréhension lors de la descente de mon dosage. Je me suis fait accompagner d’une diététicienne qui m’a appris à faire la paix avec la nourriture. Même si je n’avais plus la pulsion, je restais dans le contrôle de ce que je mangeais. La boulimie laisse des séquelles de maladie très importantes. J’avais besoin de ce soutien psychologique. Cela a été une aide exceptionnelle.

« La boulimie est une maladie taboue. Je l’ai cachée pendant 25 ans »

Qu’est-ce que cette libération a changé dans votre vie ?
Ma vie est bien plus remplie aujourd’hui. Boulimique, je faisais le vide autour de moi, j’étais enfermée dans ma bulle. Je trouvais toujours des tas d’excuses au dernier moment pour  renoncer à des sorties avec des amis, à des repas de famille. Ma seule amie était la boulimie. Pourtant, je me jurais chaque matin que je n’allais plus faire de crise. Mais la pulsion était là et je recommençais. C’était un combat de tous les jours.

Avez-vous peur de replonger ?
Je suis sereine. Si cela m’arrive, je reprendrai du baclofène.

A lire: L’interview de Pascal Gache, addictologue: “Le baclofène peut aider là où la thérapie échoue”

Pourquoi ce livre, aujourd’hui?
La boulimie, comme l’alcoolisme, est une maladie taboue. Je l’ai moi-même cachée pendant vingt-cinq ans. Aujourd’hui, j’en parle beaucoup plus librement qu’auparavant. Les gens qui ne connaissent pas cette maladie, me regardent souvent avec les yeux écarquillés : “Mais tu ne pouvais pas t’arrêter de manger ? Tu n’avais pas mal au ventre ? Tu n’étais pas écœurée ?” Non, je ne pouvais plus m’arrêter de manger. J’ai écrit ce livre pour expliquer et dédiaboliser cette maladie. Pour que l’on arrête de penser “elle n’a qu’à moins manger” en sous-entendant, comme pour l’alcoolisme, un problème de volonté. Et surtout, pour crier haut et fort que le baclofène est efficace. Vu son succès grandissant sur l’alcoolisme, il est temps de le faire savoir à ceux qui vivent l’enfer de la boulimie.
 * « Enfin libre grâce au baclofène. Comment j’ai mis fin à des années de boulimie », d’Agnès Renaud, aux éditions Bussière.

** Le baclofène est un relaxant musculaire d’action centrale indiqué depuis 1975 dans les contractures musculaires, notamment de la sclérose en plaques. En 2004, Dr Olivier Ameisen a publié son propre cas de guérison de sa dépendance à l’alcool en utilisant de fortes doses de baclofène. Découverte longtemps dénigrée, le baclofène bénéficie depuis mars 2014 d’un encadrement des autorités de santé pour son utilisation dans le traitement de l’alcoolisme. Les résultats des deux essais cliniques français (Alpadir et Bacloville) sont attendus.

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